Le Méridien de la laisse
Xynthia nuit du 27 au 28 Février 2010
La première fois que j’approchais la question dite des territoires soumis aux catastrophes naturelles, les élus de Fécamp me racontèrent ceci : "A midi pile déferla de la Rue de l’Innondation une terrible vague de boue emportant tout sur son passage, l’institutrice de l’école ouvrit la porte pour laisser sortir les enfants. Alors on entendit un cri puissant, le cri de l’enfant trisomique, qui voyant arriver la coulée de boue et les enfants prêts à sortir, fit à l’institutrice refermer immédiatement la porte de l’école". Ce cri de l’enfant trisomique m’a hanté, encore aujourd’hui. Ce cri « en accord » avec les puissances de déferlement cosmique, l’aurais-je moi-même « poussé » en sculpture ?
Il me «poussa» à tenter de trouver par l’art (la sculpture), plus précisément : à me re-souvenir dans l‘art de la puissance invoquante, reliante, mémorielle… en ce cri, pour ainsi dire comme « en le chemin de sculpture », la mémoire de cette disruption « de quand » survint la tempête Xynthia, région dont les habitants ne furent réveillés par aucun cri.
La tempête Xynthia 2010 touche les côtes atlantiques, conjonction de phénomènes naturels exceptionnels, et rencontre avec des vulnérabilités (pas seulement «naturelles»). Intervenue dans la nuit elle piège hommes, femmes et enfants.
Littoral dévasté, ligne de trait de côte défait, troupeaux decimés, terres rendues infertiles, demeures détruites. « Enormité » du déchaînement de la nature, c’est dans l’expression « vague scélérate » que je me mis au travail de la terre. Scélérat, jadis, est l’impie. Et la sculpture prit forme de voile, un voile levé vers la lune, troué pour laisser advenir la clarté de celle-ci, reconnaître son attraction si souvent
déniée des hommes à l’heure de la technique.
Le voile couvrait à nouveau, pudiquement, ces corps gonflés, hommes et
animaux, désolés, morts.
A la désolation des maisons emportées, la sculpture semblait ainsi s’opposer tragiquement, et dans son voile re-loger, non pas seulement la maison, l’usine, la ferme, mais la demeure même de l’homme, l’abri de penser qu’est la demeure.
Inclinée, la sculpture donnait à penser la vague comme divagation, chemin, espace de liberté retrouvée, Autre inclinaison, et couvrant-traçant : ré-inclinant la nudité soudaine du littoral…
Neuf chemin, méridien de la laisse de mer, que l’on retrouva si loin dans
les terres…
E-loignement littoral, c’était là que s’originait mon travail. La « laisse de mer », Pascal Quignard dit que l’on l’appelle aussi « le chemin du dieu ». « En chemin » sur ce chemin là, s’ouvrait la neuve possibilité d’une mémoire ; du sauf abandonné par la mer, « laissé » par elle dans les terres
se re-souvenait de la demeure, tel est l’espace mnémonique que tracent ces sculptures, elles appellent les hommes, les habitants et ceux venus là, à déambuler encore, « divaguer », elles les « poussent » sur ce chemin pensant, sur le chemin de ce qui les regardent, elles prennent en leur garde ; le « méridien de la laisse » sauvegarde de l’oubli ce qui toujours revient.
L’installation pourrait se faire à même le méridien de la laisse de mer, et
l’écart ou l’amplitude des cinq sculptures faire chemin sur une étendue
plus ou moins grande (ville, département, région).